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9è Assises de la Sécurité : « Baudelaire revendiquait une liberté, la liberté de se contredire »

octobre 2009 par Emmanuelle Lamandé

La conférence plénière des Assises de la Sécurité s’est intéressée cette année à la notion d’identité à l’ère du tout numérique. Qu’en est-il de la notion d’éthique face aux technologies de contrôle ? Jusqu’où ira la traçabilité des personnes ? Où sont passées nos libertés individuelles et fondamentales, celles de pouvoir exister dans l’intimité, de pouvoir évoluer comme bon nous semble et surtout la liberté de pouvoir se contredire ?

Pour Alex Türk, Président de la CNIL, quatre défis s’imposent aujourd’hui aux juristes. Le défi de la globalisation, tout d’abord. Le droit étant par essence structuré, il s’avère étroit par rapport aux technologies. Deuxièmement, le délai technologique est beaucoup plus court que le délai de droit. La technologie est, en outre, ambivalente. Elle n’est ni bonne, ni mauvaise. C’est son usage qui fait toute la différence. Enfin, les juristes devront faire face au caractère d’invisibilité des phénomènes. Le juriste n’a pas de lunettes assez grosses pour voir l’objet de la réflexion. Plus nous irons vers les nanotechnologies, plus les juristes se trouveront désarmés.

Que peut-on faire face à ce phénomène ?
 Développer le nombre de contrôles,
 Augmenter le nombre de Correspondants Informatique et Libertés au sein des entreprises,
 Développer le service d’expertise.

Alex Türk a mis en exergue plusieurs problématiques qu’il reste à traiter. Premièrement, celle du traitement des données à caractère personnel. Nous assistons aujourd’hui à une prolifération du nombre de fichiers de police absolument inouïe. Beaucoup de ces fichiers se chevauchent. Par exemple, le fichier Stic contient près de 25 millions de données. Les enjeux en terme de protection des libertés sont colossaux.

Quand on met fin à un service, il faut pouvoir retrouver sa liberté

Il soulève également la problématique de l’Internet (réseaux sociaux,…) sur laquelle nous n’avançons pas assez. Les pouvoirs publics commencent à prendre conscience de ce système, mais le chemin est encore très long. Le droit sacré du droit à l’oubli est primordial, mais fait défaut sur les réseaux sociaux par exemple. Que faire face à ce problème ? Il faut, tout d’abord, essayer de comprendre ce qui se passe sur le plan technologique, tenter de déterminer ce qui motive un jeune à exposer sa vie privée sur Internet et amener l’ensemble des utilisateurs à réaliser que ce qui est en cause, c’est leur vie privée. Il est nécessaire d’essayer de maîtriser ce flot d’informations. Certains ne connaissent pas encore les risques. Il faut leur expliquer que, dans la durée, il y aura toujours un moment où ils perdront la maîtrise. Quelqu’un sera capable de faire un certain nombre de déductions qui permettront de recouper les informations. A ce sujet, la CNIL a un travail de communication globale et de mise en garde.

La situation est totalement instable juridiquement. Par exemple, en ce qui concerne les marketeurs. Le consommateur, qu’a-t-il en échange ? Il faut revoir le droit à la consommation. Quand on met fin à un service, il faut pouvoir retrouver sa liberté. C’est une chose qui est impossible aujourd’hui avec les réseaux sociaux. Face à ce sujet, un travail titanesque doit être fait entre l’Europe, les USA et l’Asie, de manière à faire en sorte que quand un européen, par exemple, a un problème sur un réseau social américain, il puisse se défendre juridiquement. Si quelqu’un souhaite travailler sur cette thématique, la CNIL est d’ailleurs prête à proposer un prix de thèse sur le sujet.

Depuis quelques jours, la CNIL se pose, en outre, la question de savoir s’il ne faut pas jeter un pavé dans la mare en augmentant le nombre de contrôles. Cependant, en cas de contrôle et de non respect de la législation de la part d’une entreprise, il faut que le pénal suive, sinon le contrôle ne servira à rien.

« Baudelaire revendiquait une liberté, la liberté de se contredire » souligne-t-il. Nous avons le droit d’évoluer, de changer. Mais si le système nous ramène toujours à nos 20 ans, nous n’avons plus le droit à l’oubli.

Traçabilité des personnes : qu’en sera-t-il avec les nanotechnologies ?

La traçabilité des personnes s’accentue aujourd’hui via le développement de 3 technologies, (bien évidemment en plus des cartes de crédits, téléphones portables,…) :
 La vidéosurveillance : à ce sujet, la CNIL doit être en charge d’un contrôle global du système. « Nous devons rappeler qu’il est nécessaire de mettre en place une charte au sein de l’entreprise, que des règles ont été fixées, mais aussi d’indiquer quels sont les endroits surveillés. Si on développe de la vidéosurveillance, il faut également un mécanisme de contrôle ».
 La biométrie connaît un développement fulgurant.
 La géolocalisation des personnes devient de plus en plus importante, avec le développement des puces RFID.

« Dans quelques années, nous aurons à faire à un nouveau problème, en lien avec l’essor des nanotechnologies. Les technologies permettront à terme de voir et d’entendre à distance sans jamais être vu. C’est en soi un système qui peut s’avérer très positif mais qui doit largement être encadré. Car si nous avons l’impression de ne plus être dans l’intimité, nous allons tous nous contrôler et limiter nos actions, ce qui entraînera un formatage des individus. Savoir vivre ensemble sans altérer l’intimité des autres est primordial. Est-il désormais trop tard ? » conclut-il son intervention.

« Si nous n’avons plus le pouvoir de nous cacher, nous n’aurons plus le désir de nous montrer »

Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, Directeur de recherche à Paris X-Nanterre, s’est intéressé aux motivations qui poussent les individus à dévoiler leur intimité sur Internet, via les réseaux sociaux par exemple. L’individu se trouve, selon lui, pris entre deux aspirations :
 le désir d’extimité : un sentiment différent de l’exhibitionnisme car il s’accompagne toujours d’une réciprocité. Le désir d’extimité n’est pas un mal.
 le besoin de maîtrise. Parfois, ce sentiment devient extrême, car plus les gens ont l’impression d’être contrôlés, plus ils se donnent le droit de contrôler les autres. Ce phénomène est susceptible d’entraîner une paranoïa généralisée. L’objectif, dans ce cas précis, est de contrôler les autres avant qu’ils ne nous contrôlent.

Malgré les dangers liés à l’extimité sur Internet, il souligne que l’on peut très bien aller sur les réseaux sociaux sans pour autant donner beaucoup d’informations. Tout est question de juste mesure. Au début, les jeunes se sont engouffrés dans les réseaux sociaux car ils avaient l’impression de découvrir beaucoup sur eux-mêmes et de trouver les bons interlocuteurs. « Cependant, un certain changement est en train de se produire car ils n’ont pas forcément eu les retours espérés » souligne-t-il. De plus, si les individus n’ont pas la possibilité d’oubli dans les réseaux sociaux, ils finiront par ne plus vouloir donner d’informations. « Si nous n’avons plus le pouvoir de nous cacher, nous n’aurons plus le désir de nous montrer ». Si la protection devient trop importante, les gens vont se replier sur eux-mêmes et perdre leur désir d’extimité.

Pour Serge Tisseron, les réseaux sociaux restent cependant une formidable opportunité. Les gens sont aujourd’hui capables de trouver de nombreuses informations et interlocuteurs ciblés. Le risque majeur réside dans le fait qu’on ne puisse pas se retirer des réseaux sociaux. Selon une étude du CREDOC, 210.000 personnes seraient victimes en France d’un abus d’identité.

Il faut définir des politiques pénales

« Le phénomène ne cesse de s’amplifier » souligne Myriam Quémener, Magistrat, Cour d’appel de Versailles. Comment la justice et la loi appréhendent l’usurpation d’identité ? Dans la législation, l’usurpation d’identité apparaît jusqu’à ce jour comme un moyen de commettre un délit. Elle connaîtra cependant peut-être une évolution prochaine, puisqu’elle est appréhendée dans le projet de loi LOPPSI 2. Selon Myriam Quémener, il faudrait définir des politiques pénales. Il s’agit de donner des orientations, des bonnes pratiques, des clés afin que les magistrats du parquet puissent bien qualifier une procédure. Il faut, de plus, mener une réflexion plus globale.

L’avatar a-t-il sa place en entreprise ?

Pour clore le débat, Paul-Olivier Gibert, Président de l’AFCDP, s’est intéressé à l’idée d’avatars en entreprise. Les salariés ont une relation contractuelle avec l’entreprise. Un certain nombre d’informations doivent être connues des DRH, mais a-t-on besoin d’autant d’informations ? L’état civil est-il indispensable ? Le recruteur a juste besoin de savoir que le recruté travaille bien pour l’entreprise. A ce niveau, on pourrait envisager que le pseudo puisse être utilisé en entreprise s’il est encadré par une autorité. Certains projets d’identité intègrent d’ailleurs des avatars. Des pistes de réflexion à développer… mais qui devront répondre à un enjeu paradoxal de taille : respecter le droit à l’oubli, mais pouvoir remonter jusqu’à la personne en cas d’infraction.


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