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Darknets et Darknautes : les dessous du commerce illicite sur les réseaux virtuels

janvier 2018 par Emmanuelle Lamandé

Le commerce illicite et les réseaux criminels qui l’animent exploitent depuis bon nombre d’années déjà les filons du numérique. Du Darknet aux réseaux sociaux, en passant par les sites de petites annonces, tous les moyens sont bons pour faire prospérer à grande échelle leurs escroqueries en tout genre, démultipliant par là même leurs gains, avec des risques limités. Toutefois, comme l’expliquent différents experts à l’occasion de la 10ème édition du Forum international de la cybersécurité, ces nouveaux espaces de jeux du commerce illicite ne sont pas pour autant des zones de non-droit.

Dominique Lapprand, Secrétaire général de l’ALCCI (Association de lutte contre le commerce illicite), définit le commerce illicite comme la vente au public en violation de la loi (propriété, fisc…). Cette violation représente un avantage compétitif pour bon nombre d’acteurs peu scrupuleux, qui se retrouvent par ce biais « exemptés » de taxes, de coûts d’achat, de copyright…

Le commerce illicite exploite depuis plusieurs années déjà les bons filons du numérique pour faire prospérer ses escroqueries en tout genre et étendre ses activités malveillantes à la sphère virtuelle. Internet est ainsi devenu un espace de transactions au même titre que la rue (vente à la sauvette…) ou que certains établissements de proximité participant à ce commerce illégal (vente sous le comptoir…).

Le commerce illicite exploite tous les réseaux virtuels, du Darknet aux réseaux sociaux et sites de petites annonces

Le e-commerce illicite s’opère sous différentes formes au sein de l’écosystème cyber :
 Le Darknet est un milieu fermé en progression régulière (plus de 30% par an) de transactions clandestines en gros, de drogue et de médicaments pour les dealers, mais aussi de logiciels et de données servant aux cybercriminels.
 Certains sites Web classiques, plus ouverts, servent quant à eux à opérer des transactions discrètes de tous types de produits contrefaits, interdits à la vente, volés ou non conformes...
 Les réseaux sociaux et les sites de vente de petites annonces connaissent de leur côté une croissance exponentielle. Ces réseaux permettent notamment des prises de contact en vue de transactions frauduleuses futures, qui se feront le plus souvent hors Internet.

Toutefois, « le Darkweb n’est pas illégal en soi, c’est l’usage illicite que l’on en fait qu’il l’est », souligne Nicolas Duvinage, Chef du Centre de lutte Contre les Criminalités Numériques (C3N) - Service Central du Renseignement Criminel (SCRC) - Pôle Judiciaire de la Gendarmerie Nationale (PJGN). Le Web est effectivement très grand. On y retrouve le Web visible de tous, mais aussi le Deepweb, également appelé Web profond, non référencé par les moteurs de recherche. Le Darkweb représente une infime partie de ce Deepweb.

« Ce ne sont pas pour autant des zones de non-droit »

Sur le Darkweb, on retrouve notamment deux types de contenus illicites, explique Nicolas Duvinage : tout d’abord, des autoshops qui proposent la vente de biens volés, contrefaits, écartés de la chaîne de production, de la drogue, des armes... On y retrouve également des marketplaces avec l’équivalent de dealers de quartier, mais aussi de la criminalité organisée. Il s’agit notamment de la vente de biens de consommation personnelle, mais à très grande échelle. Contrairement à la criminalité de quartier traditionnelle, cette dématérialisation des process permet à ces escrocs de démultiplier les gains et donc d’atteindre un chiffre d’affaires exponentiel. En effet, même s’ils vendent des petites quantités individuelles, démultipliées à grande échelle, les gains s’avèrent considérables, avec des risques limités. Les Darknautes sont aussi des clients qui arpentent le Web classique et les réseaux sociaux, en « toute bonne foi »…

Néanmoins, ces parties plus obscures du Web ne sont pas pour autant des zones de non-droit. Les forces de l’ordre y vont également, s’infiltrent sur ces réseaux pour lutter contre ces menaces. « Nous y allons aussi et nos actions aboutissent parfois à certaines arrestations. Pour ce faire, nous allons notamment exploiter certaines erreurs d’anonymat commises par l’adversaire, ou se faire passer pour un acheteur, dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme… », souligne Nicolas Duvinage.

40% des consommateurs ne savent pas qu’il est interdit d’acheter des cigarettes sur Internet

Webdrone est, pour sa part, une société créée en 2011 par trois anciens gendarmes pour lutter contre la fraude et la contrefaçon sur le Net, explique Didier Douilly, Manager Business Development chez Webdrone. « Nous avons développé une plateforme permettant de modéliser le cerveau d’un enquêteur, et de monitorer le Web à la recherche de commerce illicite et de contrefaçon. Nous travaillons également en étroite collaboration avec les services de l’État. » Webdrone analyse ainsi la diffusion des articles sur les marketplaces. « On peut vraiment acheter de tout aujourd’hui sur les sites Web et les marketplaces. On observe, de plus, une évolution et une organisation technique de plus en plus maîtrisées. Certaines organisations criminelles sont en mesure de mettre en place et de gérer jusqu’à 50 000 sites de vente en ligne illégaux. On observe également un mouvement massif des Darknautes vers les réseaux sociaux. Ce phénomène devient d’ailleurs catastrophique lorsqu’on voit tout ce que l’on peut trouver actuellement sur ces réseaux, et plus largement sur Internet. »

A l’heure actuelle, on retrouve, en outre, les mêmes criminels sur les réseaux sociaux que ceux qui opéraient auparavant dans les quartiers de manière traditionnelle. Il s’agit donc principalement de la reproduction de ces anciens réseaux physiques sur les réseaux virtuels.

Webdrone a aujourd’hui identifié 350 groupes de vente, soit autant de points de vente, en France sur le Web pour le marché du tabac et la vente d’autres produits, comme l’électronique, les vêtements de marque et les cosmétiques. Chacun de ces points de vente regroupe en moyenne près de 14 000 acheteurs potentiels, et le plus important d’entre eux réunit 374 000 acheteurs potentiels. 14 000 vendeurs proposeraient aujourd’hui des cigarettes sur Internet, avec une portée estimée à 5 millions de personnes.

Plus d’une cigarette sur quatre est aujourd’hui issue de ce marché parallèle, déplore Daniel Bruquel, Manager Prévention du Commerce Illicite - Philip Morris France SAS. « Ces produits illicites représentent une atteinte à la productivité économique de nos entreprises. 88 millions de paquets de cigarettes sont vendus sur ce trafic parallèle, qui représente notre plus gros concurrent aujourd’hui. » Pourtant, la vente de cigarettes sur Internet est strictement interdite en France. Elle représente d’ailleurs une atteinte majeure pour l’État, puisqu’elle engendre une perte de recettes fiscales estimée à 480 millions d’euros, mais aussi la perte d’emplois, sans compter qu’elle favorise la vente de tabac aux mineurs… Les revenus pour les Darknautes sont, quant à eux, estimés à 265 millions d’euros par an. Et on devrait malheureusement assister à une explosion de ce phénomène d’achat de cigarettes sur Internet et les réseaux sociaux, d’autant plus avec l’augmentation des prix…

Outre la répression, il faut sensibiliser les consommateurs

Quelles actions sont mises en œuvre aujourd’hui pour lutter contre ce fléau ou devraient être mises en place ?
L’application de la loi pour fermer ces sites de e-commerce illicite est difficile à mettre en œuvre aujourd’hui, ces derniers étant le plus souvent basés à l’étranger. Les annonces via les réseaux sociaux restent, quant à elles, relativement difficiles à traiter. Néanmoins, il faut malgré tout continuer à mener des actions juridiques récurrentes (mises en demeure, dépôts de plainte, constitution de partie civile…), car les efforts finissent toujours par payer un jour.

Outre la répression et la réponse pénale, les entreprises aussi peuvent mettre en place certaines mesures contre ce type de menaces. En effet, de nombreux sites Web d’entreprises, notamment de collectivités locales ou d’associations, se font aujourd’hui pirater, constate Nicolas Duvinage. Toutefois, cette forme de piratage n’est pas forcément visible de prime abord, puisqu’il ne s’agit pas spécialement de défacement de sites Web. Actuellement, de nombreux criminels se contentent juste d’ajouter des pages de e-commerce illicite, par exemple de pharmacie en ligne, sur des sites Web légitimes. Et si le propriétaire n’y prête pas attention, cela peut durer longtemps. Il est donc essentiel que toutes les organisations restent vigilantes.

Enfin, l’un des principaux problèmes actuellement est lié, selon Daniel Bruquel, à une méconnaissance de la loi française. En effet, 40% des consommateurs interrogés ne savent même pas qu’il est interdit d’acheter des cigarettes sur Internet. Il est donc essentiel de renforcer la sensibilisation des consommateurs sur les règles en vigueur.


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